Mis en ligne par Ignace de Witte le 1er juin 2023
Nous avons été invité par le groupe Caillé à suivre en direct la conférence de presse en ligne de Samir Cherfan concernant la déclinaison du plan stratégique «Dare Forward 2030» de Stellantis pour la région Moyen-Orient-Afrique. Pour rappel, Stellantis est né de la fusion de PSA et FCA, c’est maintenant une «major» qui regroupe 14 marques automobiles: Abarth, Alfa Romeo, Chrysler, Citroën, Dodge, DS Automobiles, Fiat, Jeep, Lancia, Maserati, Opel, Peugeot, Ram, Vauxhall.
Samir Cherfan est COO (Chief Operating Officer) de la région Moyen-Orient-Afrique du groupe Stellantis. Il est un n-1 de Carlos Tavarès, basé au Maroc, à Casablanca, non loin de l’usine de Kenitra, qui grâce à un nouvel investissement de 300 M€ va doubler sa capacité de production et constituer un élément très important du plan de stratégie «Dare Forward 2030» dans la région dont il est responsable, qui s’étend de l’Algérie à la Turquie et de l’Égypte à l’Afrique du Sud, et à laquelle est curieusement rattachée La Réunion.
En effet, si géographiquement, La Réunion et Mayotte sont bien en Afrique, pour tout le reste, ces îles sont européennes, avec des contraintes bien particulières: normes antipollution Euro 6 et bientôt euro 7, interdiction de commercialisation des voitures thermiques en 2035 et plein d’autres bâtons dans les roues dont l’Europe de Von Der Leyen a le secret.
La Réunion et Mayotte se trouvent ainsi dans une position compliquée puisque, d’un côté, elles ne peuvent pas commercialiser par exemple le pickup Peugeot Landtrek, qui n’est pas aux normes européennes, et, d’un autre côté, explique François Caillé: «On a lancé la nouvelle Peugeot 408 à La Réunion, mais sans avoir de PHEV…» (version hybride rechargeable). Il ne cache pas que notre singularité est parfois difficile à faire reconnaître en haut lieu, d’autant plus que La Réunion est un marché de 30.000 VN par an, ce qui est beaucoup pour un territoire d’à peine 2512 km2 mais qui n’est rien comparé avec par exemple la Turquie qui commercialise 750.000 VN par an…
Mais, vous connaissez François Caillé, il en faut plus pour le décourager et il part prochainement rencontrer Samir Cherfan en tête à tête, ainsi que des responsables des marques Stellantis qu’il importe, notamment Peugeot, DS, Fiat et Alfa Romeo. L’objectif de ces rendez-vous est de s’assurer que La Réunion et Mayotte ne restent pas sur le quai et montent bien dans le train «Dare Forward 2030».
D’après François Caillé, la stratégie mondiale de Stellantis consiste à développer l’électrique partout en Europe, puisque c’est le diktat de la Commission européenne, mais, «en même temps» rester concurrentiel partout ailleurs dans le monde avec des voitures qui répondent aux besoins des clients locaux, c’est-à-dire des électriques mais aussi des thermiques.
Le document «Dare Forward 2030» confirme que l’objectif de Stellantis est de réaliser au niveau mondial 50 % de son C.A. avec des voiture électriques en 2030 (contre 3% en 2021). Mais ces 50 % sont une moyenne entre les 100 % qui seront réalisés en Europe, et les pays où la voiture électrique représentera à peine 1 %. On pense par exemple à Madagascar, juste à côté de chez, nous où le réseau électrique (JIRAMA) est totalement incompatible avec le développement de la voiture électrique, à court, moyen et même long terme.
À Madagascar et dans de nombreux pays africains, la voiture thermique a encore de beaux jours devant elle, surtout qu’en l’absence des normes européennes qui entraînent des complications techniques, la technologie thermique est très compétitive et fiable. Ces voitures thermiques seront en toute logique fabriquées au plus près de leur marché, hors Europe, ce qui explique les gros investissements de Stellantis au Maroc (méga-usine de Kénitra qui produit des Peugeot 208 et 2008), mais aussi en Algérie (nouvelle usine Fiat), sans oublier TOFAS (Turk Otomobil Fabrikasi Anonim Sirketi) en Turquie, une joint-venture qui produit des voitures depuis 1968, notamment des Fiat, et qui va reprendre localement la partie commerciale pour toutes les marques Stellantis.
Les questions qui se posent sont: comment intégrer La Réunion, qui doit se conformer à la politique du tout électrique exigée par l’Europe d’Ursula Von Der Leyen, à la stratégie «Dare Forward 2030» de Stellantis dans la région Moyen-Orient-Afrique, qui va de plus en plus produire des voitures pour les marchés émergents et non soumis aux normes européennes ? La Réunion et Mayotte n’auraient-elles pas dans ce cas intérêt à être plutôt rattachées à la région «Europe élargie» ? François Caillé reconnaît que la question se pose vraiment.
La région Moyen-Orient-Afrique est celle qui va le plus se développer: «Plus de 25 % de notre CA net sera réalisé hors des régions Amérique du Nord et Europe élargie (contre 15 % en 2021)» prévoit le plan Dare Forward 2030. Et ce Chiffre d’Affaires va lui-même doubler : «Présenté en mars 2022, Dare Forward 2030 est un plan global reposant sur trois grands piliers qui nous permettront de doubler notre chiffre d’affaires net d’ici 2030 (par rapport à 2021), soit 300 milliards d’€».
Pour atteindre cet objectif financier ambitieux, Stellantis va continuer à investir dans ses méga-usines situées au Maghreb, en Turquie mais aussi bientôt en Égypte (accords-cadres signés le 23 février 2023) et en Afrique du Sud (protocole d’accord signé le 8 mars 2023). Ces méga-usines situées hors Europe ont pour vocation de produire des voitures pour l’Afrique et le Moyen-Orient mais aussi pour l’Europe. Car, contrairement aux demi-vérités ou mensonges des politiciens, les constructeurs automobiles européens sont contraints et forcés de délocaliser une partie de leur production pour rester compétitifs face aux Chinois, en avance sur l’électrique et à qui l’Europe et les gouvernements européens déroulent le tapis rouge. Au Maroc, un ingénieur a un salaire de 500 € par mois nous a par ailleurs confié un Marocain installé à La Réunion.
Peut-être était-ce dû au format «en ligne» de cette conférence de presse, sans aucune interactivité, ou parce que le sujet du jour n’était pas le lancement toujours enthousiaste d’un nouveau modèle, mais à la fin de cette conférence de presse on avait l’impression un peu désagréable que Stellantis était certainement devenu une «major» mais qu’elle n’avait plus le charme et la simplicité de l’entreprise familiale Peugeot, avec qui la famille Caillé est en affaires depuis plus d’un siècle. Il faut espérer que cette grande «société anonyme», dont le siège n’est plus en France mais a été transféré aux Pays-Bas (pays fiscalement plus intéressant), ne va pas regarder uniquement l’intérêt de ses actionnaires (Stellantis est cotée en bourse à New-York, Milan et Paris), et mais aussi ceux de ses clients et de tous ceux qui depuis plus d’un siècle font vivre et prospérer ses marques, jusqu’au bout du monde.
Stellantis prévoit à terme un tiers de ses ventes en ligne. Cet objectif est envisageable à Monaco où l’argent coule à flot, mais à La Réunion, l’essentiel de la clientèle est composée de ménages modestes pour qui l’achat d’une voiture neuve est un achat important et mûrement réfléchi, pas en trois clics. D’autant plus que le prix des voitures ne cesse d’augmenter. Le conseil commercial est indispensable, pour expliquer, comparer et faire essayer le véhicule. Il existe à La Réunion, et pour longtemps encore, la notion d’acheter une voiture «chez Caillé».
Le constructeur de bolides allemands a lui-aussi un fonctionnement par zone géographique et le groupe Caillé est rattaché à la région Porsche Moyen-Orient, dont le siège est à Dubaï. La situation est cependant plus simple qu’avec Stellantis puisque la gamme Porsche est quasi-identique partout dans le monde, les boîtiers électroniques sont même capables d’ajuster les paramètres moteurs en fonction de la qualité du carburant local (pour rappel, il n’y a pas de SP98 ou de Diesel premium à La Réunion). Le principal inconvénient du rattachement de La Réunion à Dubaï est qu’il n’y a pas beaucoup d’émirs à La Réunion et que le marché local est plus friand de petites Macan que de grosses Panamera !
Autre point important dans le plan Dare Forward 2030, qui s’inscrit lui aussi dans la marche du monde: «Le CA généré par les voitures neuves de nos marques Premium et Luxe augmentera de 4 % en 2021 à 11 % en 2030». La marge de progression est intéressante pour le groupe Caillé qui pour le moment développe essentiellement DS comme marque premium du groupe Stellantis. Si on lui en donne les moyens, si on adapte les cahiers des charges, le groupe Caillé pourrait développer Alfa Romeo, Lancia, Maserati et pourquoi pas les américaines Chrysler et Dodge qui sont aussi maintenant dans le pannier de Stellantis ? Ce développement vers le haut de gamme serait d’ailleurs le bienvenu pour compenser la disparition des modèles d’entrée de gamme comme par exemple la Peugeot 108.
Ingénieur polytechnique diplômé de la Sorbonne, Samir Cherfan est d’origine libanaise. Il a commencé sa carrière chez Renault en 1992 et a occupé plusieurs postes de management, notamment en région parisienne. En 2012, il a rejoint le groupe Nissan et 5 ans plus tard (2017) le groupe PSA. Depuis 2021, il est directeur de la région Moyen-Orient-Afrique du groupe Stellantis, né de la fusion entre PSA et FCA. Il connaît et un tout petit peu La Réunion confirme un collaborateur de François Caillé: «C’était en 2017 ou 2018, il est passé par La Réunion, on a pu le voir 2 heures, c’était très rapide, vraiment entre deux avions».