Mis en ligne par rédaction le 24 août 2021
Le marché automobile réunionnais est passionnant, non seulement pour les belles mécaniques mais parce que c’est le secteur économique où l’on trouve les chefs d’entreprises les plus remarquables. Parfois visionnaires, parfois malchanceux mais toujours combatifs. Ils ont su passer d’un «marché d’équipement» à un «marché de renouvellement» et faire entrer l’automobile dans l’ère de la «Grande Distribution».
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Deux mots sur le contexte socio-économique. En 1990, seulement un ménage réunionnais sur deux possède une voiture (source: Insee Flash n°118 de janvier 2018). Le chiffre passe à 63 % en 1999, soit +13 % en une décennie, grâce à l’élévation du niveau de vie. Et le nombre de ménages progresse lui aussi, de 36 %, en raison de l’accroissement naturel de la population et de la décohabitation. La conjugaison de ces deux phénomènes fait que le parc automobile réunionnais passe de 139.000 véhicules en circulation en 1990 à 234.578 en 1999, soit une augmentation de +69 %.
On est donc bien sur cette décennie sur un «marché d’équipement», et qui progresse vite, favorisé par le développement du crédit à la consommation. L’IEDOM note un autre élément «moteur»: le prix du logement. Habiter en ville coûte en effet de plus en plus cher, les Réunionnais s’installent donc de plus en plus loin de leur lieu de travail et, en l’absence d’un réseau de transport collectif performant, ils doivent acheter une voiture.
Le premier phénomène important qui impacte le marché automobile réunionnais est l’arrivée des marques coréennes sur un marché jusque là dominé par les marques européennes (essentiellement françaises) et où les rares marques exotiques (japonaises) ne représentent pas une véritable menace car soumises à des quotas d’importation, fixés au niveau europén pour chaque pays membre. Cette mesure protectionniste a pris effet le 31 janvier 1991. C’est pour contourner les quotas que le japonais Nissan construit une usine en Espagne et une autre en Grande Bretagne, qui produisent les Micra, Primera, Almera, Serena, Patrol et Terrano destinés au marché européen. Mitsubishi construit lui une usine aux Pays-Bas pour la Colt, Suzuki une usine en Espagne (4x4 Santana) et Honda une usine en Grande-Bretagne (Honda Accord). L’usine Toyota de Valenciennes a elle vu le jour en 2001, juste après la suppression des quotas en 2000, mais avant ça, Toyota assemblait des voitures en Angleterre, notamment la Carina.
Autre «side effect» des quotas européens sur les japonaises: les importateurs s’intéressent aux coréennes, en premier lieu parce qu’elles ne sont pas soumises aux quotas, ensuite parce que leur positionnement tarifaire est très agressif, en gros, elles promettent «une Mégane pour le prix d’une Twingo». Ce sont les marques coréennes qui, avec leur politique low-cost, font entrer le marché automobile réunionnais dans l’ère de la grande-distribution. Les Coréennes font leur apparition à La Réunion en 1992 avec la marque Hyundai, qui se prononce alors encore «hyundaye», comme Rafik Cassam-Chenaï, le directeur d’Écoré (au début une filiale de la Sogécore).
De son côté, le japonais Mazda contournait les quotas des deux façons: il faisait construire en Corée les 323 destinées au marché européen, où elles arrivaient rebaptisées Kia Sephia. Et à partir de 1995, Ford étant actionnaire dans Mazda à hauteur de 25%, Mazda a assemblé ses voitures destinées au marché européen dans l’usine allemande de Ford.
Mais le premier acteur local dont il nous allons parler est Monsieur Abdul Cadjee. Il est le premier (et le seul à ce jour) a avoir osé utiliser une technique marketing issue de la grande-distribution: la «publicité comparative». En 1995, par voie d’affichage 4x3 partout dans l’île, il compare son utilitaire Fiat Ducato et ses clones Peugeot Boxer et Citroën Jumper. Foucque et Caillé portent l’affaire devant la justice, cela va jusqu’en Cassation, qui donne finalement raison à Abdul Cadjee (arrêt du 4 février 1998).
Le 1er septembre 1998, Abdul Cadjee revend cependant la carte Fiat (et Lancia) au groupe Dindar. Plus précisément, il leur cède la SERCA (Société réunionnaise de commerce automobile), qui distribue Fiat à La Réunion depuis 1958 et qu’il avait rachetée en 1992. Abdul Cadjee veut en effet se recentrer sur les marques qu’il contrôle via Cotrans-Cadjee (VW, Audi, Porsche, Škoda) et Gamma-Cadjee (Mercedes). Il fait notamment de gros investissements pour construire au rond-point du Chaudron, un bâtiment de 30.000 m2, qui est la toute première «grande surface automobile» de La Réunion, avec plusieurs show-rooms, chacun aux normes constructeur.
Abdul Cadjee y installe aussi son fameux «bureau-aquarium», entièrement vitré. Cette totale transparence permet à tout le monde de le voir et cela lui permet lui de rester connecté au monde qui l’entoure. Le 17 novembre 2000 il inaugure également en grandes pompes (800 invités, feu d’artifice Bangui, défilé de mannequins de l’agence Kwaheri, cocktail Cap Méchant, gâteau La Parisienne, etc.) un show-room de 1300 m2 sur la parcelle juste à côté, pour y installer Mercedes (Gamma Cadjee), un investissement de 30 M FF.
L’histoire d’Abdul Cadjee est aussi intéressante pour comprendre un des rouages du monde automobile: même si vous avez un contrat en béton, vous pouvez voir une de vos cartes vous échapper et partir chez votre concurrent. C’est ainsi qu’en juin 2002, suite à la fusion des groupes Chrysler et Daimler-Benz au niveau international, Abdul Cadjee (qui importe Mercedes à La Réunion) récupère les marques Chrysler et Jeep jusque là importées par Dindar. Du coup, Abdul Cadjee, lorsqu’il n’était pas au volant de sa Porsche, roule en Jeep Cherokee !
Ces «glissements de cartes» ne sont pas systématiques: en 1994, lorsque BMW a racheté Rover, la carte est restée chez Dindar. Idem en 1998, lorsque Kia a intégré le groupe industriel Hyundai, les deux marques automobiles sont restées localement chez deux groupes concurrents (Caillé et GBH).
Par contre, en 2005, lorsque General Motor, actionnaire principal (42,1%) du constructeur coréen Daewoo, a décidé de les rebadger Chevrolet, la marque est non seulement restée aux mains de HG Autos (groupe Caillé) qui représentait Daewoo à La Réunion, mais Dindar, qui avait les cartes General Motor et donc la carte Chevrolet, a vu celle-ci lui échapper et partir chez Caillé le… 1er avril 2005, et ce n’était pas un poisson !
Le 1er signal qu’il fallait voir, c’est lorsque Abdul Cadjee annonce en octobre 2002, soit à peine 4 mois après avoir repris les cartes Chrysler et Jeep, et alors que son entreprise est en pleine expansion, que des négociations sont en cours avec le Groupe Bernard Hayot pour lui céder la totalité de son activité automobile. On parle d’une somme entre 400 et 500 millions FF (soit entre 60 et 76 M€). Abdul Cadjee donne plusieurs motifs à cette décision qui en a surpris plus d’un, parmi lesquelles la réglementation européenne qui autorise maintenant la vente de voitures par les grandes surfaces, un secteur où il estime que ses deux principaux concurrents, Caillé et Hayot, sont mieux placés que lui.
Caillé est effectivement dans l’automobile depuis 1919 (lire ici) et s’est lancé dans la Grande Distribution à la fin des années 80, avec l’ouverture du 1er hypermarché de l’île, au Chaudron, un projet qui a vu le jour avec l’aide de Bernard Hayot, que François Caillé est parti chercher aux Antilles.
Bernard Hayot lui son parcours est exactement l’inverse: son groupe GBH a démarré avec la distribution et il ne s’est intéressé à l’automobile qu’à partir de 1988 (Martinique) et 1992 à La Réunion, avec «Automobile Réunion» qui remplace alors la filiale de Renault France (lire ici) . De partenaires au départ, François Caillé et Bernard Hayot sont peu à peu devenus concurrents, dans l’automobile ET dans la Grande Distribution.
Le 2e signal, qu’il fallait voir, c’est l’irruption fracassante (pour les prix) de Jacques de Chateauvieux sur le marché automobile le 1er août 2003 avec sa société Dom-Tom Car qui annonce: «économisez jusqu’à 20 % sur l’achat de votre prochaine voiture.». Malheureusement, Dom-Tom Car était une bonne idée, mais lancée trop tôt (comme le sont souvent les idées de Jacques de Chateauvieux), en 2003, les Réunionnais n’étaient pas prêts à acheter leur voiture sur un parking de grande surface. C’est quand même le plus gros achat d’un ménage après la maison. Et pour ceux qui sont locataires, c’est carrément le plus gros achat de leur vie !
Voyant que cela ne décolle pas, Dom Tom Car essaie d’adapter son concept à «l’expérience client», qui veut une reprise, un financement, qui veut pouvoir essayer le véhicule, et qui ne veut surtout pas attendre 6 semaines la livraison de sa voiture. Dom Tom Car commence donc a pré-acheminer des voitures à La Réunion, à faire des reprises, etc. mais se retrouve alors avec un stock à écouler, exactement comme ses concurrents, et avec toutes les mêmes autres contraintes… qui finissent par avoir raison des -20%.
On notera que Jacques de Chateauvieux abandonne mais que tous les concessionnaires de La Réunion récupèrent son idée, et très vite: du 7 au 9 octobre 2004, c’est carrément un mini salon (25 modèles, de 18 marques) qui se tient à Carrefour, avec GBH, Caillé, CMM, Dindar, Foucques et Sogécore ! Et depuis, le public réunionais a pris l’habitude de voir des voitures exposées dans les galeries commerciales.
Le 3e signal, c’est à Dindar qu’on le doit, avec ses fameuses opérations «prix métropole» sur certains modèles Opel, Kia, Fiat, Alfa, Lancia et Suzuki, avec qui Dindar a su négocier des tarifs qui le permettent. Les premières opérations «prix métropole» de Dindar date de novembre 2002, elles ont également eu lieu en 2003 et la dernière en avril 2004.
À notre humble avis, les voitures à «prix métropole» sont la meilleure opération commerciale jamais lancée à La Réunion, devant «la clef» de Renault et «une voiture pour 1€ de plus» de Nissan.
L’opération Renault consistait à envoyer à chaque Réunionnais, dans sa boîte aux lettres, une clef, et si celle-ci démarrait la voiture exposée dans le show-room, le gagnant repartait avec la voiture. Certains pensaient que la clef qui été dans la boîte aux lettres était la vraie clef et donc, si elle était identique à celle reçue par son voisin, ce n’était pas la peine de se déplacer, puisqu’il ne peut y avoir qu’une seule bonne clef. Grossière erreur! La clef ne servait qu’à actionner un boitier électronique à côté du Neiman, un boitier qui fonctionne exactement comme une machine à sous au casino, autrement dit, il compte le nombre de coups de clef et il est programmé pour «tilter» à un moment. Donc, on pouvait gagner la voiture avec n’importe quelle clef, il suffisait juste de tenter sa chance !
L’opération «une voiture pour 1€ de plus» consistait elle à vendre de gros 4x4 Nissan Murano au prix normal et, pour 1€ de plus, le client se voyait offrir une petite Micra. Nous classons cette opération sur la 3e marche du podium car elle est excellente sur le papier mais n’a pas eu beaucoup de succès, le Murano restant un véhicule haut de gamme à faible diffusion. C’est bien simple, à part Gérard Éthève, l’ancien pdg d’Air Austral, nous ne connaissons personne qui en a acheté un !
Dom-Tom Car, le jeu de «la clef» et les opérations de dumping «prix métropole» ou «pour 1€ de plus n’ont pas duré longtemps pas mais ces opérations de marketing ont marqué un tournant important: l’automobile à La Réunion entrait dans l’ère de la grande-distribution, avec tout ce que cela implique.
À l’époque, Massoum Dindar avait parfaitement décrit l’évolution qu’allait alors connaître le marché automobile réunionnais. Il nous expliquait, dès 2004, en se frisant la moustache, qu’on allait assister à une concentration des entreprises automobiles avec, à terme, plus que cinq ou six acteurs, contre huit ou neuf actuellement (itw complète à lire ici).
Massoum est alors prêt à se battre pour que le groupe Dindar soit parmi ces cinq ou six, hélas, les autres actionnaires du groupe familial (une trentaine, très agés pour la plupart) préfèrent se tourner vers l’immobilier. Et, le 28 avril 2007, un notaire est chargé de trouver un acquéreur pour les 5 sociétés de la holding familiale HOLDAR. François Caillé se montre intéressé car lui aussi a compris que «GRANDE distribution», cela voulait dire qu’il fallait maintenant voir GRAND.
François Caillé a également compris qu’il faut «jouer collectif» comme Maurice Cerisola le répétait inlassablement. François Caillé l’a très précisément exprimé le 6 juin 2006, lors de l’inauguration du centre commercial Hyper Crack «Plein Sud» à St-Pierre (14.000 m2 avec une galerie de 20 boutiques), fruit de la collaboration exemplaire entre les Caillé et les Kin Siong, deux familles profondément réunionnaises: la première est présente sur l’île depuis deux siècles, la seconde depuis quatre générations.
«J’ai envie de vous dire ce que j’ai sur le cœur, a commencé par dire François Caillé. Nous sommes présents à Madagascar et à Maurice mais notre cœur est ici. Je suis attaché charnellement à ce petit bout de France […] Tout ce que nous avons gagné, nous l’avons toujours investi ici, à la Réunion, une terre bénie des dieux où il règne un peu plus d’harmonie qu’ailleurs».
François Caillé a ensuite emporté l’auditoire dans sa vision du monde: ou bien on laisse les grands groupes nationaux mettre la main sur toute la distribution à la Réunion, ou bien les petits opérateurs locaux s’unissent. «Nous avons choisi la voie du partenariat, s’est-il exclamé, avec des acteurs locaux: les familles Lam-Tow, Chong Fah Sen et maintenant Kin Siong. Je pense du fond du cœur que c’est la voie à suivre: l’union, pas la fusion. C’est un choix de société … Ce problème se posera avec de plus en plus d’acuité. Nous sommes tous face à nos responsabilités».
Joignant le geste à la parole, le 2 janvier 2008, François rachète à la famille Dindar leurs 5 sociétés, dont les deux sociétés automobiles, à savoir Dindar Autos (Opel, Fiat, Alfa Romeo, Kia et Cadillac); dirigée par Massoum Dindar, et Din’Autos (Rover, MG, Suzuki et Land-Rover), dirigée par son cousin Ismaël (LIRE ICI).
François Caillé fusionne alors les deux entreprises automobiles en une seule, baptisée «Kolors Automobiles» et il organise en novembre 2008 une soirée absolument inoubliable pour marquer les esprits et installer le nom Kolors dans le paysage local. Il fait pour cela appel au magicien Fred Fogherty qui présente une «grande illusion» qui laisse tout le monde présent (+800 personnes) bouche bée: il fait en effet se soulever toute la concession à l’enseigne Kolors, tout le bâtiment, de 80 cm… Vraiment du très grand art, certainement le plus grand spectacle de magie jamais vu à La Réunion.
En 2000, Lionel Jospin avait supprimé la vignette automobile, «Un cadeau fait aux riches» avait alors dénoncé Ibrahim Dindar, ce qui avait suscité l’hilarité générale: l’intéressé roulait alors en Porsche !
Hélas, cette bonne nouvelle en début de décennie sera suivie d’autres, beaucoup moins bonnes. Au niveau national, le 1er janvier 2008, le sinistre de l’Écologie Jean-Louis Borloo met en place le «bonus-malus écologique» et le 1er janvier 2009 le «malus annuel». Ce «verdissement» trouve son écho au niveau local: le Conseil Régional de La Réunion, sous la présidence de Paul Vergès, vote une modification des taux d’octroi de mer et, à compter du 1er avril 2009, les voitures électriques bénéficient du taux zéro, alors que les thermiques de plus de 2,5 litres voient leur taux d’octroi de mer passer de 28 à 34%. On notera qu’en 2009 à La Réunion, des thermiques de +2,5 litres, essence ou diesel, il y en a beaucoup, par contre, aucun concessionnaire ne propose à cette époque de voiture électrique, il faudra attendre pour cela 2011 (lire ici) .
Ce climat fiscal anti belles voitures pousse Abdul Cadjee à cèder à François Caillé en janvier 2009 la carte Porsche qu’il avait jusque là conservée (LIRE ICI), pour un montant parait-il de 500.000 € (pour la carte seule, sans le stock).
Grâce à tous ses gros investissements, le groupe Caillé détient alors 13 cartes automobiles. Il est armé mais il a aussi de gros investissements à digérer, dans l’automobile et la grande-distribution: ses magasins CHAMPION et DIA sont passés sous bannière LEADER PRICE et ses hypermarchés CHAMPION et HYPER CRACK sont devenus des GEANT CASINO.
Pour l’anecdote, et parce que c’est la principale évolution technologique des voitures de cette période: la toute première voiture commercialisée à La Réunion avec un GPS ET la cartographie de La Réunion est la Hyundai Tucson, en 2006.
En 2010 à La Réunion, on ne parle pas de la «crise des subprimes» aux USA mais des difficultés locales du BTP, qui durent depuis 2008 et commencent peu à peu à peser lourd sur l’économie, car, c’est bien connu: «Quand le bâtiment va, tout va» mais l’inverse est aussi vrai. Lorsque la crise américaine touche notre île, elle ne fait qu’amplifier les effets de cette crise locale.
Qui dit crise, dit chomage et donc baisse du revenus des ménages. Et les répercutions pour le secteur automobile sont plus graves ici qu’en métropole car, comme le souligne l’INSEE, les transports sont le 1er poste de dépense des ménages réunionnais: ils y consacrent 16 % de leur revenus, contre 14 % pour manger et 13 % pour se loger. Cela s’explique par le fait que le réseau de transports collectifs n’est pas assez développé et que posséder une voiture est indispensable, même si «Acheter un véhicule neuf à La Réunion coûte 24 % plus cher, l’écart s’étant creusé depuis 2010».
Comme toujours, le marché des utilitaires baissé en premier, suivi de celui des voitures particulières. Les entreprises locales ne subissent pas toutes la crise avec la même intensité. Certaines sont plus sévèrement touchées que d’autres car frappées au mauvais moment. François Caillé reconnait que «l’intégration du périmètre DINDAR s’est faite dans des conditions difficiles et a consommé, du fait du contexte de crise, des ressources financières importantes, beaucoup plus importantes que prévues» (site www.caille.re consulté en 2010).
De fait, en 2011, la situation devient intenable et le groupe Caillé est dans l’obligation de se mettre sous la protection de la justice.
Pour faire valider son plan de continuation (LIRE ICI), François Caillé doit réduire la voilure. La Sogécore reprend la carte Opel dès 2011 et en septembre 2013, le contrat de HG autos (filiale du groupe Caillé) avec BMW n’étant pas renouvellé, c’est le mauricien Éric Leal, qui distribue déjà BMW à Maurice, qui reprend la carte BMW et Mini (LIRE ICI). Le Groupe Bernard Hayot ne reprend que les cartes automobiles Suzuki et Iveco (+ des entreprises de location).
La chance de GBH est peut-être d’avoir réalisé ses gros investissements automobiles bien avant la crise: le rachat à Abdul Cadjee de ses cartes Volkswagen, Audi, Mercedes, Mitsubishi date de 2002 et la prise de participation dans Écoré (Hyundai et SsangYong) date de novembre 2006 (Rafik Cassam-Chenaï restant DG). En 2010, GBH obtient encore une carte supplémentaire, Dacia, mais ensuite ne bouge plus, pour ne pas risquer d’être accusé de «position dominante». Une rumeur raconte ainsi que GBH voulait un moment racheter la SOREVA (Subaru, Mazda et Daihatsu) mais GBH lui a au contraire revendu en 2013 la carte SsangYong (qu’il tenait d’ÉCORÉ, qui lui-même l’avait reprise d’Abdul Cadjee).
C’est ainsi que lorsque Frédéric Foucque, en difficulté depuis 2009, a été contraint et forcé de céder en 2011 la carte Citroën, François Caillé, qui était le plus légitime pour la reprendre, parce que Peugeot et Citroën font partie de la même entité sur le plan national (PSA) et aussi parce que les deux hommes travaillent déjà ensemble pour le transport maritime, l’assurance et les pièces détachées, François Caillé donc est dans l’incapacité financière de la reprendre. Et GBH ne peut pas non plus, pour des raisons de «position dominante».
On a un moment parlé du groupe Loret, ce qui était effectivement une hypothèse crédible. Ce groupe antillais fondé par Roger Lauret dans les années 60 dispose des cartes Peugeot, Volkswagen, Hyundai et Citroën en Guadeloupe et il connaît La Réunion, puisqu’il y est alors présent via la société informatique Mediaserv.
Mais c’est finalement la CMM (Compagnie Marseillaise de Madagascar) qui prend la carte Citroën, car c’est «capitalistiquement» intéressant pour elle à ce moment. C’est Marc Hirschfeld qui pilote localement le projet. Il nous explique alors: «Nous atteignons nos limites de croissance avec Volvo, Lexus, Ford et Toyota. Donc la seule perspective de croissance, c’est une croissance externe, d’où le rachat de Citroën, afin de pérenniser CFAO à La Réunion» (LIRE ICI).
On notera que la CMM avait auparavant fait une offre de reprise de la carte Opel auprès de General Motor, offre qui a été déclinée mais qui a conduit General Motor à demander un effort supplémentaire à Dindar (objectif de 900 à 1500 voitures par an).
Le groupe familial Foucque s’est totalement retiré de l’automobile mais reste un acteur important dans la commercialisation de matériel agricole, de manutention, d’irrigation, etc. avec des cartes prestigieuses comme Landini, Claas, Massey Fergusson, Komatsu, etc.
Avant 2000, la CMM (groupe CFAO) n’avait qu’une et une seule carte à La Réunion: Toyota. C’est en effet le 30 octobre 1999 que la CMM rachète la carte Ford aux établissements Barbot (qui compte parmi ses actionnaires la famille Isautier). En 2007, la CMM lance Lexus, la marque premium de Toyota, et reprend la carte Volvo, qui n’était pas exploitée par le groupe Dindar. En 2008, la CMM était parait-il également sur les rangs pour reprendre la carte Porsche, mais c’est François Caillé qui l’a obtenue.
En 2010, la CMM est une filiale à 100% de la CFAO (Compagnie Française de l’Afrique Occidentale), la «pépite africaine» du groupe PPR (Pinault Printemps Redoute) de François-Henri Pinault. Mais ce dernier souhaite recentrer ses activités sur la grande distribution (Fnac, Conforama, La Redoute) et surtout le luxe (Gucci, Yves Saint Laurent). Dans un premier temps (de 2009 à 2011), la CFAO rachète les actions de ses petits porteurs (OPA) puis, en 2012, la CFAO, et donc la CMM, sont revendues au groupe japonais Toyota Tsusho Corporation (LIRE ICI).
En mars 2011, à l’occasion du lancement du Kia Sportage (LIRE ICI) François Caillé nous fait part de son analyse: «Le marché automobile réunionnais se répartie maintenant en trois: les marques premium, dont les ventes restent stables, les marques généralistes, dont les ventes diminuent, et les marques d’entrée de gamme (je n’aime pas dire low-cost), qui progressent. Les entrée de gamme, j’en identifie quatre: Chevrolet, Dacia, Kia et Hyundaï. Et on a de la chance: sur les quatre, deux sont chez nous (ndlr: Kia et Chevrolet)! D’après les chiffres des deux premiers mois 2011, le phénomène non seulement se confirme mais s’amplifie».
Effectivement, la crise s’atténue et les ventes automobiles repartent à la hausse. Elles progressent plusieurs annés de suite et La Réunion bat son record historique de 2007 une première fois en 2018 (32.346 VP+VUL) et à nouveau en 2019 (33.412 VP+VUL). Pour imaginer le phénomène: cela fait 100 voitures neuves vendues chaque jour!
Le groupe Caillé honore les échéances de son plan de continuation en temps et en heure et remonte la pente (433 M€ de chiffres d’affaires et 11,9 M€ de résultat net en 2016). Le tribunal autorise donc François Caillé à reprendre la carte DS, que PSA a détachée de Citroën et remise en jeu en 2016. La CMM estime en effet que «l’actualité produits» annoncée par DS ne vaut pas les investissements demandés par PSA pour garder cette carte (show-room à part, équipe commerciale dédiée), la CMM laisse donc le champ libre au groupe Caillé, qui reprend la carte officiellement à partir de novembre 2018 (LIRE ICI).
La même volonté de «rassembler sous un même toit les marques du groupe PSA » conduit le groupe Caillé à récupérer en 2021 la carte Opel, qu’il avait cédée à la Sogécore en 2011 (LIRE ICI). Pour rappel, Opel appartient maintenant à PSA car General Motor a pris la décision de se désengager d’Europe et a revendu Opel. Avant cela, General Motor avait pris la décision en 2016 de stopper d’exporter vers l’Europe les «Chevrolet coréennes», ce qui a fait perdre au groupe Caillé une bonne carte, car elles offraient un excellent rapport qualité-prix.
L’époque des grandes manœuvres de rachat de groupes les uns par les autres semble terminée, on a atteint l’équilibre dont parlait Massoum Dindar en 2004, avec plus que six groupes qui se partagent le marché (contre neuf auparavant) avec comme leaders, les deux groupes qui sont à la fois dans l’automobile et la grande-distribution: Caillé et GBH.
S’en suit une phase de consolidation des positions: tout le monde se lance dans la construction ou la rénovation de grands et beaux show-rooms, mettant bien en valeur le produit et les services, et pas seulement dans le nord, mais aussi dans le sud de l’île. C’est la CMM qui a donné le top départ (LIRE ICI, avec l’interview de Marc Hirschfeld), suivie de tous les autres: Volkswagen (St-Denis) , BMW (Saint-Denis), Volkswagen, Audi et Škoda (St-Pierre), Mercedes, Mitsubishi et Smart (St-Pierre) , Porsche (St-Denis), Jaguar (St-Denis) , DS (St-Denis) , Citroën, Nissan et Seat (Sogecore) même les marques «low-cost» ont maintenant des show-rooms «premium» (Hyundaï) !
Après les voitures exotiques venues du «pays du soleil levant» (Japon) et celles venues du «pays du matin calme» (Corée), La Réunion voit maintenant débarquer des voitures de «l’empire du milieu» (Chine). Cela a même pris plus de temps que ce que nous pensions, car on imaginait que la Chine allait nous envahir avec des thermiques low-cost, mais non, les chinois ont très intelligemment attendu que l’Europe leur déroule le tapis rouge (couleur de leur drapeau national), avec une réglementation qui ne laisse pas d’autre choix aux constructeurs européens que de passer à l’électrique, un domaine où les constructeurs chinois ont 10 ans d’avance.
François Caillé, ou plus précisément son fils Christophe, est le premier à importer des voitures électriques chinoises à La Réunion, de marque MG (LIRE ICI). La marque anglaise a en effet été rachetée par SAIC, le plus grand constructeur automobile chinois, qui ne fait rien à moitié. Grâce à leurs qualités intrinsèques et le fait que les voitures électriques sont totalement exonérées d’octroi de mer à La Réunion (depuis 2009), les MG font un carton sur le segment des SUV compact électriques.
Tant et si bien que le deuxième constructeur chinois, Dongfeng, pointe maintenant le bout de son nez. Sa ruse à lui ne consiste pas à se présenter aux Européens sous une marque légendaire que les européens connaissent bien (MG) mais sous une marque créée spécialement pour conquérir l’occident: Seres, qui a son siège en Californie et compte dans son staff un ancien de Tesla (LIRE ICI) .
Ah… Tesla: une audace incroyable sur le plan technologique et commercial. Qui aurait en effet imaginé que l’on pouvait vendre des voitures avec simplement un site internet? Sans show-room physique ni SAV local, 20 Tesla ont été vendues neuves à La Réunion, dont 10 rien qu’en 2020! Plusieurs acteurs réunionnais ont essayé d’obtenir la carte, mais sans y parvenir à ce jour.
Voilà, nous avons fait le tour des changements de cartes de ces 20 dernières années. Si vous voyez des corrections ou des précisions à apporter à ce texte, n’hésitez pas à nous contacter.
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